jeudi 10 juillet 2014

Purification de l'âme

« Les fleurs, dit l’Epoux sacré, apparaissent en notre terre, le temps d’émonder et tailler est venu. » Qui sont les fleurs de nos coeurs, o Philothée, sinon les bons désirs ? Or, aussitôt qu’il paraissent, il faut mettre la main à la serpe, pour retrancher de notre conscience toutes les oeuvres mortes et superflues. La fille étrangère, pour épouser l’Israélite, devait ôter la robe de sa captivité, rogner ses ongles et raser ses cheveux: et l’âme qui aspire à l’honneur d’être épouse du Fils de Dieu, se doit « dépouiller du vieil homme et se revêtir du nouveau », quittant le péché; puis, rogner et raser toutes sortes d’empêchements qui détournent de l’amour de Dieu. C’est le commencement de notre santé que d’être purgé de nos humeurs peccantes.

Saint Paul tout en un moment fut purgé d’une purgation parfaite, comme fut aussi sainte Catherine de Gênes, sainte Madeleine, sainte Pélagie et quelques autres; mais cette sorte de purgation est toute miraculeuse et extraordinaire en la grâce, comme la résurrection des morts en la nature, si que nous ne devons pas y prétendre. La purgation et guérison ordinaire, soit des corps soit des esprits, ne se fait que petit à petit, par progrès, d’avancement en avancement, avec peine et loisir. Les anges ont des ailes sur l’échelle de Jacob, mais ils ne volent pas, ains montent et descendent par ordre, d’échelon en échelon. L’âme qui monte du péché à la dévotion est comparée à l’aube, laquelle s’élevant ne chasse pas les ténèbres en un instant, mais petit à petit. La guérison, dit l’aphorisme, qui se fait tout bellement, est toujours plus assurée; les maladies du coeur aussi bien que celles du corps, viennent à cheval et en poste, mais elle s’en revont à pied et au petit pas.

Il faut donc être courageuse et patiente, o Philothée, en cette entreprise. Hélas ! quelle pitié est-ce de voir des âmes lesquelles, se voyant sujettes à plusieurs imperfections après s’être exercées quelquefois en la dévotion, commencent à s’inquiéter, se troubler et décourager, laissant presque emporter leur coeur à la tentation de tout quitter et retourner en arrière. Mais aussi, de l’autre côté, n’est-ce pas un extrême danger aux âmes lesquelles, par une tentation contraire, se font accroire d’être purgées de leurs imperfections le premier -jour de leur purgation, se tenant pour parfaites avant presque d’être faites, en se mettant au vol sans ailes? O Philothée, qu’elles sont en grand péril de rechoir, pour s’être trop tôt ôtées d’entre les mains du médecin! Ah! ne vous levez pas « avant que la lumière soit arrivée, dit le Prophète, levez-vous après que vous aurez été assis » ; et lui-même pratiquant cette leçon et ayant été déjà lavé et nettoyé, demande de l’être derechef.

L’exercice de la purgation de l’âme ne se peut ni doit finir qu’avec notre vie: ne nous troublons donc point de nos imperfections, car notre perfection consiste à les combattre, et nous ne saurions les combattre sans les voir, ni les vaincre sans les rencontrer. Notre victoire ne gît pas à ne les sentir point, mais à ne point leur consentir; mais ce n’est point leur consentir que d’en être incommodé. Il faut bien que pour l’exercice de notre humilité, nous soyons quelquefois blessés en cette bataille spirituelle; néanmoins nous ne sommes jamais vaincus sinon lorsque nous avons perdu ou la vie ou le courage. Or, les imperfections et péchés véniels ne nous sauraient ôter la vie spirituelle, car elle ne se perd que par le péché mortel ; il reste donc seulement qu’elles ne nous fassent point perdre le courage [...]. C’est une heureuse condition pour nous en cette guerre, que nous soyons toujours vainqueurs, pourvu que nous voulions combattre.

(Texte repris de "Introduction a la vie dévote" de Saint François de Sales)