lundi 20 octobre 2014

Père spirituel

Le jeune Tobie commandé d’aller en Ragès: « Je ne sais nullement le chemin, dit-il ». « Va donc, répliqua le père, et cherche quelque homme qui te conduise ». Je vous en dis de même, ma Philothée: voulez-vous à bon escient vous acheminer à la dévotion? cherchez quelque homme de bien qui vous guide et conduise; c’est ici l’avertissement des avertissements. Quoi que vous cherchiez, dit le dévot Avila, vous ne trouverez jamais si assurément la volonté de Dieu que par le chemin de cette humble obéissance, tant recommandée et pratiquée par tous les anciens dévots.

La bienheureuse mère Thérèse, voyant que madame Catherine de Cordoue faisait de grandes pénitences désira fort de l’imiter en cela, contre l’avis de son confesseur qui le lui défendait, auquel elle était tentée de ne point obéir pour ce regard; et Dieu lui dit: « Ma fille, tu tiens un bon et assuré chemin. Vois-tu la pénitence qu’elle fait ? mais moi, je fais plus de cas de ton obéissance s. Aussi elle aimait tant cette vertu, qu’outre l’obéissance qu’elle devait à ses supérieurs, elle en voua une toute particulière à un excellent homme, s’obligeant de suivre sa direction et conduite, dont elle fut infiniment consolée; comme, après et devant elle, plusieurs bonnes âmes, qui pour se mieux assujettir à Dieu, ont soumis leur volonté à celle de ses serviteurs, ce que sainte Catherine de Sienne loue infiniment en ses Dialogues. La dévote princesse sainte Elisabeth se soumit avec une extrême obéissance au docteur maître Conrad; et voici l’un des avis que le grand saint Louis fit à son fils avant que mourir: «Confesse-toi souvent, élis un confesseur idoine, qui soit prud’homme et qui te puisse sûrement enseigner à faire les choses qui te sont nécessaires.

« L’ami fidèle, dit l’Ecriture Sainte, est une forte protection; celui qui l’a trouvé, a trouvé un trésor. L’ami fidèle est un médicament de vie et d’immortalité; ceux qui craignent Dieu le trouvent ». Ces divines paroles regardent principalement l’immortalité, comme vous voyez, pour laquelle il faut sur toutes choses avoir cet ami fidèle qui guide nos actions par ses avis et conseils, et par ce moyen nous garantit des embûches et tromperies du malin; il nous sera comme un trésor de sapience en nos afflictions, tristesses et chutes ; il nous servira de médicament pour alléger et consoler nos coeurs ès maladies spirituelles; il nous gardera du mal, et rendra notre bien meilleur ; et quand il nous arrivera quelque infirmité, il empêchera qu’elle ne soit pas à la mort, cari! nous en relèvera.

Mais qui trouvera cet ami? Le Sage répond : « Ceux qui craignent Dieu »; c’est-à-dire les humbles qui désirent fort leur avancement spirituel. Puisqu’il vous importe tant, Philothée, d’aller avec un bon guide en ce saint voyage de dévotion, priez Dieu avec une grande instance qu’il vous en fournisse d’un qui soit selon son coeur, et ne doutez point; car, quand il devrait envoyer un ange du ciel, comme il fit au jeune Tobie, il vous en donnera un bon et fidèle.

Or, ce doit toujours être un ange pour vous c’est-à-dire, quand vous l’aurez trouvé, ne le considérez pas comme un simple homme, et ne vous confiez point en icelui ni en son savoir humain, mais en Dieu, lequel vous favorisera et parlera par l’entremise de cet homme, mettant dedans le coeur et dedans la bouche d’icelui ce qui sera requis pour votre bonheur ; si que vous le devez écouter comme un ange qui descend du ciel pour vous y mener. Traitez avec lui à coeur ouvert, en toute sincérité et fidélité, lui manifestant clairement votre bien et votre mal, sans feintise ni dissimulation : et par ce moyen, votre bien sera examiné et plus assuré, et votre mal sera corrigé et remédié; vous en serez allégée et fortifiée en vos afflictions, modérée et réglée en vos consolations, Ayez en lui une extrême confiance mêlée d’une sacrée révérence, en sorte que la révérence ne diminue point la confiance, et que la confiance n’empêche point la révérence; confiez. vous en lui avec le respect d’une fille envers son père, respectez-le avec la confiance d’un fils envers sa mère: bref, cette amitié doit être forte et douce, toute sainte, toute sacrée, toute divine et toute spirituelle.

Et pour cela, choisissez-en un entre mille, dit Avila ; et moi je dis entre dix mille, car il s’en trouve moins que l’on ne saurait dire qui soient capables de cet office. Il le faut plein de charité, de science et de prudence: si l’une de ces trois parties lui manque, il y a du danger. Mais je vous dis derechef, demandez-le à Dieu, et l’ayant obtenu bénissez sa divine Majesté, demeurez ferme et n’en cherchez point d’autres, ains allez simplement, humblement et confidemment, car vous ferez un très heureux voyage.

(Texte repris de "Introduction a la vie dévote" de Saint François de Sales)